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L’«ESANI» ou la passion du christ à la camerounaise

par Alicepegie

Hier c’était Vendredi Saint, jour de la mort du Christ Jésus. Au Cameroun C’est un moment de deuil, que l’on commémore à travers le rite traditionnel et mortuaire du peuple Béti :

L’ « ESANI »,

RITE FUNÈBRE BETI, AU CAMEROUN

OU CÉLÉBRATION DU MÉRITE

Dans « esani », prenons d’emblée la partie « san ». En ewondo, le mot « san » revêt deux sens. D’abord, « briller » d’un éclat particulier, puis « danser » d’un pas distingué. L’éclat et le talent sont ici de haut niveau. Pour sa part, la finale « i » suggère une idée plurielle : soit briller sur plusieurs, ou danser à plusieurs. Il implique un mort prestigieux et des survivants conscients qui apprécient. L’ « esani » traduit leur hommage posthume. Dans la foulée, il invite à pérenniser l’exemple.

A la nouvelle du décès, les plus proches se réunissent. De la concertation sortiront le nom du coordonnateur, la cellule ad hoc des préparatifs, la désignation des dates et lieux de la célébration. Notamment, on rassemble trophées, costumes ou « kaba », outillage, ustensiles de cuisine et autres appareils ménagers, diplômes et/ou distinctions honorifiques ; bref, tous les signes marquants, y compris la place dans la lignée, le rayonnement et le prolongement du mort sur l’arbre généalogique. Voici venu le moment d’un examen sévère sur la nature et la valeur de ses moyens. Aucune complaisance ni négligence sur le vécu quotidien du défunt qui peut avoir édifié ou non. L’unanimité prévaut.

A titre négatif, on peut invoquer les critères de l’âge et de la situation matrimoniale (célibataire, sans enfant). Mais les succès l’emportent surtout quand ils sont attribués à l’endurance, au courage, à la fécondité, à l’équité, à la créativité, à la générosité et à la solidarité ou relèvent de la sociabilité. Le résultat positif de tout cela se traduit – souvent dans la nuit – par des you you (ayenga) stridents prolongés. Les musiciens, trois à sept, attendaient là dans un coin, leurs instruments prêts mais muets :

  • Trois tam-tam (mi nkul) de dimension petite, moyenne, grande

  • Tambourin (mbè)

  • Tambour (ngom)

  • Castagnettes

Le coordonnateur fait déclencher l’esani solennel, exclusivement instrumental la nuit. Les premières notes égrènent toujours la clé du code patronymique (ndàn) du défunt. Celui-ci est identifié comme le fils (ou la fille) de la lignée du clan paternel, puis confirmé et précisé par celle de sa mère. Le tam-tam décline quelques qualités particulières au (ou à la) disparu(e) naguère connu(e) comme dynamique, efficace, mais désormais tenu(e) entre les mains de Dieu dans l’immobilité (Zamba nye abele, Zamba nye a bele : fom, fom, fom !).


Au cas où c’est ABANDA, on dira :

Ndàn :

« Ami(e), abstiens-toi de me dire, moi-même je verrai avec mes propres yeux ».

Suit l’annonce :

Il est le fils de la lignée ONDOUA AKOA,

Le neveu maternel des mvog nomo

Rejeton mvog abana ba’ana (mvog mbi)

Né de mère mvog zambo, au village kamba II chez les bane,

habitant le plateau situé entre les rivières ato’o et kombo.

Vous, tous les destinataires, venez voir le fils de votre postérité

que vous avez connu mais désormais dans la raideur de la mort,

fom, fom, fom » !

Les thèmes sur les performances du défunt nourriront l’ « esani » toute la nuit, par séquence de 15 à 20 minutes. Dans les intervalles, les femmes spontanément, improvisent des airs de triomphe dansant. Elles en interprètent beaucoup d’autres. Les lamentations et les pleurs se terminent sur le ton plaintif de « savoir qui la (ou le) remplacera » aux fins de continuer ses qualités et ses victoires.

Le tam-tam poursuit l’annonce relayée de loin en loin. Les concernés qui le pensent, prennent aussitôt la route. Le jour, ils arrivent par petits groupes homogènes aux abords de la place. Des hôtes les accueillent au rythme de l’esani ; ils sont introduits dans la cour aux emplacements indiqués et disposés d’avance. Les porte paroles respectifs délivrent leur message reprenant tel ou tel point des réalisations à l’actif du défunt, dans tous les domaines où il (elle) a exercé. La durée dépend de l’art de l’orateur et de l’adhésion de la foule (des centaines, parfois des milliers de gens). On a pu compter des dizaines d’interventions. Une séquence frénétique d’esani salue chaque intervention. La ponctuation est animée par des trémoussements cohérents du groupe intéressé.

Et les instruments de s’adresser au mort :

«Ô toi qui étais auréolé d’estime,

toi à qui réussissait toute entreprise, une inconnue t’a abattu.

Aux remèdes, elle a résisté. L’étrange inconnue a refusé tout soin. Elle a rejeté toute proposition. Te voici révulsé, le regard figé, le corps immobile, la bouche bée.

Va, courbé au cimetière. Courbé en deux, va sous les arbres sinistres, va dans la dignité, va dans la fierté des tiens,

fom, fom, fom ! ».

La séquence générale sera chantée, dansée et mimée par tous en plusieurs tours de la place, comme un défilé triomphal, mêlant les enfants, les femmes, les hommes, les adultes, les vieux, tous unis dans un même cœur. Au signal, on va mettre le corps en terre. La seule lamelle retenue du tam-tam émettra de manière décroissante : « fom, fom, fom, fom» !

L’esani reprendra à l’installation solennelle du successeur. Le nouveau chef de famille part ainsi avec un modèle bien connu et des plaques indicatrices à réguler vers la direction réputée la meilleure, jusqu’à son propre remplacement et ainsi de suite.

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Source : http://esigankulbeti.over-blog.net/ext/http://www.monefang.com/esani.html

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